Girouettes, qu’un brin de vent fait tourner la tête.
Symbole nobiliaire par le passé, la girouette est devenue un élément décoratif.
Dans son atelier à Séné (56), Igor Rimbaud redonne vie à cet objet rivé à 4 000 ans d'histoire de l'humanité. Igor Rimbaud. La sonorité de son nom ramène inévitablement à la poésie. Mais il n'y a pas que des mots qu'émerge le souffle de l'inspiration. Dans son atelier secret "Ane Art Chic", l'artiste a choisi les métaux pour exprimer son talent. D'une plaque d'un subtil mélange d'aluminium et magnésium, il forge des silhouettes en ombres chinoises. En donnant vie au métal, Igor Rimbaud est aussi un génie à sa manière : il est fabricant de girouettes.
Ils ne sont pas nombreux en France à avoir embrassé ce métier. "Je me suis installé, il y a cinq ans. Mon père était déjà dans la partie. Aujourd'hui, je fabrique et vends quelque 400 exemplaires par an. De plus en plus de ventes se font par Internet", dit ce jeune artisan qui propose un catalogue de 113 modèles. Et de préciser qu'il se soumet toutefois à toute demande personnelle, fut-elle singulière. "Une fois, un client m’a demandé de lui fabriquer des yeux de pharaon sertis d’un M ". La nature humaine a de ces énigmes…
Le coq est indémodable.
Parmi les nombreux modèles qui tapissent son magasin, le coq perché sur son piédestal n'en a cure de ces divagations de l'esprit humain. Il n'est pas seulement roi de sa basse-cour. Il auréole les toits depuis plus de 1000 ans. "Il est indémodable", vérifie au quotidien ce jeune créateur. "Il reste le modèle le plus vendu. "
Mais au fait, d'où vient cette antique coutume de fixer un coq sur la partie la plus haute d'un édifice ? Au Xe siècle, une bulle pontificale impose le coq sur les clochers en souvenir de saint Pierre, expliquent les historiens. Puis, progressivement, le coq est devenu un symbole de vigilance de l'Église envers ses ouailles."
Quant au diable, nettement moins populaire, rares sont les personnes qui craquent pour lui. "J'ai vendu un exemplaire. Et savez-vous pour quel usage ? Pour trôner sur le faîte d'une maison faisant face à une église", sourit son créateur. Le curé du village aurait bien pris la galéjade…
En prolongement de cette histoire cocasse, rappelons qu'à la Renaissance, l'enrichissement iconographique des girouettes fait apparaître monstres, dragons et autres animaux fantastiques. Elles étaient placées à des fins protectrice ou conjuratoire. À cette époque, le vent puissant faisait en effet naître dans l'imagination populaire des légendes entretenues dans la tradition orale…
Aujourd'hui, si la girouette n'a peut-être pas perdu toute cette fonction protectrice, elle est d'abord considérée comme un objet esthétique qui "finit une maison", comme l'évoque Igor Rimbaud. "C'est un cadeau qu'offrent les enfants à leurs parents à un moment fort de leur vie, comme un départ à la retraite, un anniversaire important C'est aussi le cadeau que l'on fait au moment de pendre la crémaillère. Le modèle choisi correspondra alors souvent à une passion, au métier exercé."
Cette observation nous relie au XIXe siècle qui marque la démocratisation de la girouette. Souvent, elle désigne alors un atelier ou un métier. Elle joue le rôle d'enseigne en avertissant le voyageur de la profession de l'occupant de la maison : un cheval cabré indiquait un relais, un bœuf la maison d'un éleveur, un moulin celle d'un meunier. La girouette retrace aussi l'activité des villages et de ses habitants : le laboureur et son attelage, le chasseur et son chien, le vendangeur et son panier, sont des thèmes fréquents. Plus typique, il arrivait de croiser une gabare de marinier ou un attelage avec chevaux et belles voitures. Enfin, les auberges pouvaient être signalées par de joyeuses beuveries finement représentées.
Un très ancien instrument météo
Au-delà de l'aspect informatif, honorifique ou religieux, la girouette fait aussi partie des instruments météorologiques les plus anciens. Dans l'Antiquité, "un triton d'airain tenant une baguette pour indiquer la direction des vents" pivotait au sommet de la 'Tour des Vents" construite à Athènes par Andronic. Dans les pays nordiques, elle équipait les navires des Vikings.
À la fin du XVe siècle, Léonard de Vinci, voulant savoir d'où vient le vent, invente le premier instrument de météorologie mobile : la girouette. "Aujourd'hui encore, la girouette est scrutée comme instrument de prévision météorologique. J'en vends beaucoup avec la table d'orientation qui donne la direction du vent", commente I. Rimbaud. Car à l'époque des puissants ordinateurs et des satellites sophistiqués, chez de nombreux observateurs avertis, lever les yeux vers la cheminée s'avère, une méthode aussi fiable pour établir des prévisions à sept jours et ... ô combien plus poétique.
Autrefois, un symbole de pouvoir
Réservée aux édifices religieux et aux chevaliers, la girouette est au Moyen Âge une prérogative nobiliaire, un symbole de pouvoir aux formes codifiées. Elle est l'expression du rang social. Il faut attendre un édit du Parlement de Grenoble -1659 -pour que la girouette soit accessible à tous. Mais sous la Révolution, elle reste un symbole de privilèges qui orne les châteaux, les donjons. La plupart seront détruites, démontées ou mises à terre durant ces troubles. Au 19e siècle, réhabilités par les romantiques, ces auxiliaires du vent refont une timide apparition sur les toits. Cessant d'être le symbole exclusif du clergé et de la noblesse, ils viennent rehausser les riches demeures. Puis les artisans, les paysans et le "bas peuple" l'adoptent. Un peu oubliées, les girouettes sont, depuis quelques années, redécouvertes, notamment grâce à des artistes qui en font des objets esthétiques.
Didier Le Du
Paysan Breton. Parution du : vendredi 12 décembre, 2003